Publié par : Khun Didi | 7 décembre 2011

Politesse et tolérance, deux vertus thaïlandaises ?

Sur les forums consacrés aux voyages, je suis toujours amusé de lire les commentaires des touristes ayant séjourné 2 ou 3 semaines en Thaïlande. Ils ont, pour la plupart, trouvé les autochtones aimables, souriants, polis et tolérants. Loin de moi l’idée de démentir ces propos qui sont au premier abord assez justes. Aimables et souriants sans aucun doute, surtout les femmes ! Cependant, plus je fréquente les thaïlandais, plus ces notions de politesse et de tolérance me titillent et je crois avoir compris pourquoi. Les thaïlandais sont polis mais ils ne sont pas courtois. Ce n’est pas une critique, juste une observation que je vais m’efforcer d’étayer.

 

Qu’est-ce que la politesse ? Le philosophe André Comte-Sponville dans son lumineux « Petit traité des grandes vertus » considère que si la politesse est une vertu, elle est la plus petite d’entre toutes. Et il ajoute : « Si la politesse est une valeur, ce qu’on ne peut nier, c’est une valeur ambiguë, en elle-même insuffisante. Elle peut recouvrir le meilleur comme le pire et à ce titre est presque suspecte. » Pour Kant, la politesse n’est qu’un cérémonial de l’inessentiel. Quant à La Bruyère, il prétend que « La politesse fait paraître l’homme au-dehors comme il devrait être intérieurement. » La cause est entendue, aucun de ces distingués auteurs ne déborde d’estime pour la politesse.

 

Une autre forme de politesse?

Avec l’aimable autorisation de ATN à http://pourcequecasert.canalblog.com/

En revanche, la courtoisie que beaucoup confondent avec la politesse serait quant à elle une vertu, noble qui plus est ! Elle se distingue de la politesse en ce sens qu’elle induit des notions de générosité et de bienveillance. On se soucie de l’autre. Eh bien, hormis le roi, Bouddha et la famille, le thaïlandais moyen ne se soucie de personne. Si vous franchissez une porte derrière lui, ne vous attendez pas à ce qu’il vous la tienne. Plus agaçant, lorsque vous faites la queue au marché ou dans un magasin, il vous passera devant sans vergogne et interrompra même la personne occupée à vous servir. Comme si vous n’existiez pas ! Et si vous lui faites une remarque, il vous regardera comme si vous débarquiez d’une autre planète.

 Mais le pire, c’est son comportement en voiture. Le thaïlandais est seul au monde. Le piéton est quantité négligeable. Le parcage en triple file est monnaie courante. Sortir d’une place de parc pour rentrer dans le trafic relève de l’exploit. Même si le trafic est bloqué, on ne vous laissera pas la moindre chance de sortir et personne ne vous accordera le moindre regard. Seule solution, le passage en force ! Dans le même esprit, on préfèrera paralyser tout un carrefour plutôt que de céder le passage. Là encore, l’autre n’existe pas. Et c’est systématique ! Juste retour des choses, et c’est la bonne nouvelle, si vous gênez le trafic d’une quelconque manière, personne ne se plaindra et vous ne ferez l’objet d’aucune animosité.

 Et la tolérance ? Elle est aux yeux de Comte-Sponville une véritable vertu : « Tolérer, c’est accepter ce qu’on pourrait condamner, c’est laisser faire ce qu’on pourrait empêcher ou combattre. C’est donc renoncer à une part de son pouvoir, de sa force, de sa colère. » Alors, les thaïlandais sont-ils des gens tolérants ? Là encore, j’ai des doutes. Ce que l’on considère comme de la tolérance me semble n’être finalement qu’une grande indifférence. On ne perçoit pas d’effort ni de volonté de compréhension de l’autre, dimensions inhérentes à la tolérance. Encore une fois pas une critique, juste une observation.

 Michel Deverge, éminent spécialiste de l’Asie et qui fut pendant des années conseiller culturel à Bangkok exprime ainsi sa perception de la Thaïlande : « Le grand sentiment qui prévaut chez l’observateur extérieur est celui de la fluidité, de l’aise, de la sécurité, de la tolérance: on ne vit pas en société, on y nage. Que cette tolérance soit, à la vérité, une gigantesque indifférence à autrui ne fait guère de doute, mais qu’importe. L’environnement en est capitonné, ouaté, doux et accueillant. » Tellement juste !

Le « waï » est omniprésent en Thaïlande (Photo Gofar.sg)

Et cette gigantesque indifférence est, à mon sens, l’explication du manque de courtoisie. En effet, comment peut-on se soucier de l’autre lorsqu’il vous indiffère à ce point ? Il ne faut donc pas accorder à tous ces sourires, ces « waï » et ces courbettes, au demeurant fort sympathiques et agréables, plus d’importance qu’ils n’en ont !

Khun Didi


Réponses

  1. Bonjour !

    Ton article, que ce soit sur les faits qu’il relate ou l’analyse que tu en fait, est une représentation très fidèle de la réalité.
    Lors de mes premières visites du pays, ce manque voire cette absence totale de courtoisie m’a profondément choqué, surtout de la part d’une population si souriante pour laquelle la politesse, la générosité et le respect semblent être aussi essentiels… mais rarement désintéressés.

    Je n’en suis pas moins amoureux de ce pays et de ses habitants très attachants.

    Jay

    • Bonjour Gerald, merci pour ton commentaire qui me plaît doublement. Comme toi, j’aime aussi beaucoup ce pays et je m’y sens bien. Raison pour laquelle j’essaie d’exprimer au mieux mes perceptions. J’aurais pu dire aussi qu’on ne se sent jamais jugé… et pour cause! Et que ce n’est pas un pays pour les frimeurs! :=)

  2. Salut Didier,
    Pleinement d’accord avec toi sur cette analyse, même si ma connaissance du pays est réduite. Mais j’ajouterai un point qui fait que le farang est à l’aise en Thaïlande, c’est le sentiment de sécurité qu’on ressent presque partout. Ce sentiment de sécurité n’ est-il pas une autre conséquence -positive- de cette indifférence aimable ? Sur les marchés, sur les sites touristiques, pas de harcèlement comme en Tunisie ou au Maroc ou même au Vietnam, pour parler de quelques pays que je connais un peu. On se balade librement, sans être importuné et même si derrière le sourire thaï se cache une grande indifférence, au moins on te fout la paix !

    • Tout à fait juste, Jean-Pierre! Et c’est aussi pour ça, entre autres, qu’on aime ce pays. Pas de harcèlement, pas de jugement! Comme tu dis, on te fout la paix. C’est appréciable par les temps qui courent!

  3. Bonjour Didier, encore un excellent article très bien écrit et très instructif… S’agissant du manque de courtoisie des Thaïlandais (clin d’oeil à Pascal Engelmajer s’il me lit…) je me demande si cette attitude d’indifférence « aux autres », sous entendu à ceux qu’on ne reconnait pas comme appartenant au même groupe social ou à la même famille, ne constitue pas une manière délibérée de se positionner de façon ostensible dans la relation aux autres, au sein d’une une société extrêmement hiérarchisée et cloisonnée… Etre courtois avec des gens qu’on ne connait pas, reviendrait en quelque sorte à abolir ces barrières sociales… Ainsi par exemple, en ne disant pas merci au serveur qui vous apporte à manger et en ne lui rendant pas son salut, on lui manifeste ouvertement cette différence de niveau… et ce faisant il reste ainsi notre obligé. J’avoue qu’il m’arrive d’être choqué lorsque je vois que ma compagne qui est pourtant une femme très bien éduquée et très avenante, n’a même pas un regard en croisant les ouvriers d’un chantier ou pour le serveur qui nous apporte nos commandes… et conduit en pratiquant systématiquement le passage en force au volant … Tout ceci est très difficile à accepter pour un Occidental car nos repères profonds sont très différents… et il faut du temps au sein d’un « couple mixte » pour dépasser ces barrières culturelles et intégrer la façon de penser de l’autre…
    JL

    • Bonjour Jean-Luc, merci d’attirer mon attention sur l’importance de la hiérarchie dans la société thaïlandaise. C’est vrai qu’elle conditionne grandement les relations. J’y ferai d’ailleurs une petite allusion dans le prochain article. Quant aux couples mixtes et aux différences culturelles, le sujet est aussi tentant. Je m’y attaquerai un jour! 🙂

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